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À travers un processus aussi ascétique qu’aléatoire, Jean-Philippe Lagouarde se fait le témoin d’un rythme tangible et d’une évolution constante du réel.


Né en France en 1976, Jean-Philippe Lagouarde est un artiste autodidacte. S’il dessine et peint depuis l’enfance, ce n’est que récemment que sa pratique s’est développée. En s’installant à Paris, laissant derrière lui une vie d’errance contemplative dans le sud-ouest de la France, il fait rapidement l’expérience du sentiment d’étroitesse inhérent aux villes. De ce débordement surgit une nécessité de renouer avec le tangible. C’est alors que sa démarche artistique prend forme, dans un atelier qu’il a dessiné et construit au sein de son appartement parisien. Un espace restreint de trois mètres sur deux, ouvert sur l’extérieur. Dans cette structure qu’il a pensée comme une œuvre à part entière, sa démarche cathartique produit des œuvres au caractère hautement instable.


Sa technique, lente, précise, répétitive et au résultat imprévisible, est au cœur de sa démarche. À l’aide d’un cutter, il découpe des milliers de fines lames de papier buvard teintées et les colle de manière contiguë sur un châssis. En choisissant ce médium d’une vie quotidienne passée, il s’empare d’un support par essence accessoire, qui, à l’opposé de la création, a pour fonction première d’absorber un débordement d’encre. Une encre persistante qui remplit l’espace, comme l’artiste agence le vide dans un cadre. Le papier buvard, support instable, fragile, est ainsi anobli. Il donne une nature dynamique à chacune de ses productions. La lumière, l’air, le temps, font leur œuvre et les affectent. Et c’est tant mieux. Car c’est avant tout un travail sur l’erreur que l’artiste recherche, en invitant l’inconnu dans sa démarche. Jusqu’au choix des couleurs, basé sur leur potentiel d’instabilité.


Ce même cheminement méditatif, proche de l’ascèse, donne à chaque fois naissance à une œuvre différente. Ces milliers de papiers sont comme autant de pas gravis en montagne pour atteindre un sommet. Leur nombre, variable, donne son titre à chaque œuvre et mesure le chemin parcouru par l’artiste, comme une performance. 


“Je rends visible mon processus de création. Avant l’œuvre, il y a ce qui l’inspire, ce dont elle s’imprègne pour ensuite la produire. Ce système met en scène une réalité où la création se réduit à une simple intention. Dans ce cheminement, les différents médiums créent une interaction indépendamment de moi”.


Cette démarche liminaire ouvre une porte d’entrée permettant au regardeur de s’approprier ses œuvres. Tour à tour mystérieuses, apaisantes ou mélancoliques selon le regard du spectateur ou le moment de la journée, elles peuvent évoquer l’écorce d’un arbre, le rythme des vagues ou encore des fibres organiques.


Il n’y a pourtant pas de volonté esthétique à l’origine de sa pratique. “Au fil de la réalisation, je découvre l’œuvre en renonçant à sa composition. Je suis un spectateur faisant un choix de point de vue. Ma démarche s’apparente à une marche sous l’influence d’un environnement, une immersion.” Son unique intention est de faire et laisser faire.


“En étant détaché, on se rapproche du divin, que l’on convoque en exprimant la nature”, explique-t-il.


Se définissant comme un passeur qui amène une révélation, Jean-Philippe Lagouarde est toujours le premier spectateur étonné du résultat de sa démarche.


Fiona Le Brun


Through a process as ascetic as it is random, Jean-Philippe Lagouarde becomes the witness of a tangible rhythm and constant evolution of reality.


Born in France in 1976, Jean-Philippe Lagouarde is a self-taught artist. Although he has been drawing and painting since childhood, it is only recently that his practice has developed. When he moved to Paris, leaving behind a life of contemplative wandering in the southwest of France, he quickly experienced the sense of narrowness inherent in cities. From this overwhelming feeling came a need to reconnect with the tangible. His artistic approach then took shape in a studio he designed and built in his Parisian apartment. A tight space of three by two meters, open to the outside, which he considers a work in its own right. There, his cathartic approach produces pieces of a highly unstable nature.


A slow, precise, and repetitive technique, with unpredictable results, is at the heart of his approach. Using a box cutter, he slices thousands of thin strips of dyed blotting paper and adheres them contiguously on a frame. By choosing this medium of the past, he opts for a base that is essentially accessory, a base which, unlike creation itself, functions primarily to absorb an overflow of ink. Persistent ink fills the space as the artist arranges the void in a frame. The blotting paper, an unstable and fragile medium, is thus ennobled. It gives a dynamic nature to each of his works, affected by light, air, and time. And that is for the best, because it is, above all, a work about the imperfection that the artist seeks by inviting in the unknown, even up to his choice of colors, and their potential instability.


This same meditative path, close to asceticism, gives birth to a different work each time. These thousands of strips of paper are like the steps climbed on a mountain to reach a summit. Their number, which varies, gives the title to each work and measures the path taken by the artist, like a performance. In his words:


“I make my creative process visible. Before the work, there is what inspires it, what it is impregnated with to produce it. This system stages a reality where creation is reduced to a simple intention. In this process, the different media create an interaction independently of me.”


This preliminary approach opens a door through which the viewer can appropriate the artist’s works. Alternately mysterious, soothing, or melancholic, depending on the viewer’s gaze or the time of day, they can evoke the bark of a tree, the rhythm of the waves, or organic fibers. However, there is no aesthetic intent at the origin of his practice:


“I discover my work as I go, by giving in to its composition. I am a spectator choosing a point of view. My approach is immersive, similar to walking under the influence of natural surroundings.” 


His only intention is to do and then let go.“By being detached, we get closer to the divine, which we summon by expressing nature,” he explains.


Defining himself as a facilitator of revelations, Jean-Philippe Lagouarde is always the first spectator to be surprised by the result of his own approach.


Fiona Le Brun